Martin-pêcheur
2016 / Vidéo HD / Fiction / 13:35
Avec Paul-Elie Jay
Prix d’étudiant pour le court-métrage sélectionné dans la programmation officielle Si Cinema - Festival international des cinémas en école d’art, novembre 2020 à Caen et Paris (en partenaire avec le Centre Pompidou)
C’est l’histoire d’un photographe qui tombe amoureux des oiseaux. Cette fois-ci, il décide de capter les images d’un martin pêcheur dans une rivière. Le récit du film recherche une écriture optique qui relève les difficultés de perception du regard. Entre son et image, l’artifice du montage vient perturber la narration et le monde naturel devient comme un décor artificiel.









Vers 1835, Isidore Dagnan peint une vue du Port de Dinan au crépuscule, baignée dans la lumière jaune des derniers rayons de soleil de la journée. Contemporaine de l’invention de l’électricité, l’œuvre annonce la tombée de la nuit noire sur la Rance – une obscurité complète, qui, bientôt, n’existera plus. L’électricité change la nuit comme elle amorce, selon le philosophe Tristan Garcia*, une vie placée sous le signe de l’intensité… jusqu’au ralentissement qu’imposent, en 2020-21, le confinement puis le couvre-feu, pénalisant les promenades nocturnes sous un ciel pourtant soudain nettement plus dégagé. Cette interdiction n’a pas remis en question le projet de Linh Nguyen pour sa résidence à La Vignette (Dinan), celui de passer la nuit dehors à capter des images – non pas de la Rance directement – mais de ses abords et de la matière tout aussi liquide et mouvante qui la regarde : le ciel.
Dans une des vidéos (Quand les lucioles tricotent la nuit II, 2021), nous observons cette vie nocturne au travers d’une ouverture, une perforation au creux de l’écran dont les contours ont été empruntés à un tableau abstrait sans titre de Fernand Léger. Et dans ce théâtre d’ombres, c’est une multitude de présences lumineuses – lucioles artificielles – qui se manifestent. Le clair de lune a été remplacé par le flash d’un appareil qui éclaire la bourrache des bords de Rance, et les étoiles filantes par Starlink, une constellation de satellites de télécommunications. La technique du timelapse, qui accélère le mouvement habituellement indécelable des choses, matérialise la vie intense et grouillante du paysage dans un monde ralenti où on ne l’observe plus.
Et juste avant que le soleil ne se lève, Linh Nguyen plonge l’aube dans le noir pour mieux se concentrer sur le concert de gazouillements d’oiseaux qui s’éveillent (05:40:00-05:43:50, 2021). À l’aide de son mari, ornithologue amateur, elle a sous-titré leurs chants ; une traduction phonétique qui emplit l’écran en même temps que leurs chants comblent l’espace. Dans les œuvres ici réunies, l’artiste tisse ses paroles avec d’autres langages, qu’ils soient musicaux comme la berceuse improvisée à la flûte Pí, ou non-humains, propres aux différentes espèces d’oiseaux ou au chien, compagnon de balade de l’artiste, dont elle capte le souffle rythmé.
Il en va de même dans la troisième vidéo réalisée par Linh Nguyen pendant son séjour (Quand les lucioles tricotent la nuit I, 2021). Une chanteuse et une pianiste rencontrées à Dinan interprètent Au Rossignol tandis que se succèdent des images, tantôt nocturnes, sous un ciel calme, tantôt diurnes, face à une mer tourmentée. L’oiseau, dont on sait qu’il chante nuit et jour, a inspiré à Alphonse de Lamartine un poème mis en musique par Charles Gounod. Une voix d’oiseau que cherchent, là aussi, à traduire les entonnassions lyriques de la chanteuse et que, dans une forme d’opéra-karaoké, les visiteurs sont invités à reprendre à leur tour en suivant les paroles qui défilent sur l’écran.
En convoquant une tradition poétique du milieu du XIXe siècle, qui, alors que se développe la lumière électrique, est hantée par la tombée de la nuit – que cela soit Alphone Lamartine ou Aloysius Bertrand, dont les premiers vers du Gaspard de la Nuit accompagnent l’ouverture d’un des films – Linh Nguyen confronte le motif romantique du clair-obscur à son devenir artificiel.
Ce basculement de l’obscurité vers la lumière, le tricot sonore où se mêlent les langages poétiques, chantés, humains et animaux, tout comme le renversement de la caméra – dirigée vers les astres – induit une perte des repères que l’artiste rejoue à travers une série d’images imprimées aux atours psychédéliques. Certaines – que Linh Nguyen compose à partir de prises de vues de la Rance distordues – s’apparentent à de nouveaux planisphères. D’autres sont comme secouées par des ondes. L’artiste y compose des paysages inconnus dont les coordonnées géographiques s’inversent ; des champs magnétiques tressés d’électricité où les oiseaux s’excitent et où les fleurs ne dorment jamais.
Texte écrit par Elsa Vettier
* Tristan Garcia, La vie intense : une obsession moderne, Paris, éditions Autrement, 2016
Quand les lucioles tricotent la nuit
03 juillet 2021 - 31 août 2021
Nguyen Le Phuong Linh et les œuvres du Musée de Dinan
Exposition proposée par la Ville de Dinan et organisée par le service Culture et le service des Musées de la Ville de Dinan - Salle Etienne Langle, Abbaye de Léhon








