Martin-pêcheur
2016 / Vidéo HD / Fiction / 13:35
Avec Paul-Elie Jay
Prix d’étudiant pour le court-métrage sélectionné dans la programmation officielle Si Cinema - Festival international des cinémas en école d’art, novembre 2020 à Caen et Paris (en partenaire avec le Centre Pompidou)
C’est l’histoire d’un photographe qui tombe amoureux des oiseaux. Cette fois-ci, il décide de capter les images d’un martin pêcheur dans une rivière. Le récit du film recherche une écriture optique qui relève les difficultés de perception du regard. Entre son et image, l’artifice du montage vient perturber la narration et le monde naturel devient comme un décor artificiel.
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tu me demandes d’écrire sur ton art
qu’est-ce que je peux dire de ton art ?
quand on s’est rencontrées, on n’avait pas de langue, on a bricolé
tu vois ? tu vois ?
à force on a posé nom sur chose, un dicible est venu recouvrir le monde
quand on a su parler, on a vite avoué : « l'art » se prononce en vietnamien
ça veut dire « cacahouète », c’est pour nourrir les pachydermes dans les zoos
et nous avons couru à la vie
chacun son pas, moi l’insolence, toi la beauté
je peux parler de cette vie que tu chantes peut-être, que tes images capturent et créent, aussi, de lumière, de cette boite noire, voleuse, qui perce le présent et en libère l’éternel et impertinent ailleurs - confinés jusque là au temps social et au langage, qui nous repeuple de précis, nous !
là là et là
tu vois ! tu vois ?
espiègle, la montagne violée du Vietnam, elle est dans les yeux du frère de l’oiseleur Paul, et la poussière des pierres que taille Maël, elle trouve chemin jusqu’aux cellules des déportés qui s’éveillent au matin de l’expulsion, la même poussière voile la voix de ceux qui choisissent de ne pas voir et s’accumule dans les tas de gravats rouge âcre au bord des routes, elle s’éclate dans les étoiles, retrouve les crevasses des mains de Guy, les vergers qu’il cultive de son épuisement déterminé, dans la cour de la ferme
je le salue, émue de la terre qu’il porte en lui, qu’il nous transmet,
aussi par tes images
pendant que Maël polit son puits, d’autres érigent des barbelés,
même monde, autre temps
tu saisis la cruelle clarté des deux,
de nos effarouchements humains avides de sens, nos pertes
il y a une étrange beauté
que tu vois et nous fais voir
tu m’agaces avec ton appareil - toujours lui entre nous et le monde - jusqu’à ce que tu imprimes, et qu'autour l’on se presse pour rire, commenter, tout sauf ce que tu as vu, et parfois juste ça, précisément, comme par miracle, les histoires s’emballent
t’as vu ? t’as vu !
alors je te vois, tisserande, Linh, tisserande de vies, comme autrefois Elle Qui Tissât Le Ciel D’Etoiles qui nous couve, tisserande de ton amour traduit lumière, les fils nos existences en traverse
avec ou sans
langage
j’ai envie de vivre et d’inventer avec toi
Lettre de Rita Meharg à Linh Nguyen
Saint-Aubin, septembre 2016